Dans la famille des Injonctions contradictoires, ces deux expressions « Tu devrais lâcher prise » et « Surtout continue, ne lâche rien » sont assez révélatrices de notre société un brin paradoxale …
C’est leur côté presque parfaitement contradictoire qui m’inspire cet article et me donne envie de le placer dans la catégorie Reine de ce blog humour inédit Matière à réflexion.
Oui, parce qu’ici, on ose tout, le titre du blog le permet. Je vais donc m’attaquer à deux très grandes injonctions qu’on entend couramment. Même pas peur.
Chers amis thérapeutes, profs de méditation, coachs santé, et autres coachs sportifs qui utilisez ces expressions, ne m’en veuillez pas mais… Voici deux expressions antinomiques que l’on peut entendre dans une même journée et qui peuvent nous plonger finalement dans un flou intersidéral.
Oui un flou, et non un vide, car ce sont encore deux expressions toutes faites difficiles à assimiler pour mon intellect. Revenons déjà sur chacune d’entre elles.
Lâcher prise : qu’est-ce que ça veut dire ?
Je vous préviens, ce paragraphe risque d’être très très court, car je suis dans le flou (malgré mes grosses lunettes à trois niveaux pour ceux qui me connaissent en vrai). J’ai quand même deux, trois petites idées qui me viennent comme ça :
Lâcher prise, cela pourrait correspondre à lâcher les pensées récurrentes du quotidien (il faut que j’organise les vacances, que j’appelle mes parents, flûte, oublié de payer l’abonnement Truc, c’est quoi déjà le nom du bouquin pour l’anniversaire de ma belle-sœur, il faut que je réponde à M. Tourbier pour qu’il arrête de me mettre la pression par mail, sms, What’s App, il est fou ce type, il devrait lâcher prise !).
Lâcher prise peut être défini aussi comme lâcher l’idée de perfection (ce que pour ma part, j’ai fait depuis bien longtemps, comme vous l’aurez constaté). Sauf qu’un autre concept consistant à « toujours faire de son mieux » vient en balance nous rappeler que si on peut faire mieux, ne nous contentons pas du juste bien…
Lâcher prise cela pourrait être aussi, parvenir à ne rien faire. Ne pas céder aux obligations, à la pression sociale, mais… c’est compliqué. Dans le Lâcher prise, il y a une notion d’arrêter le surcontrôle, voire de déléguer, mais globalement… Il est difficile de ne pas faire tout ce qu’on a à faire, parce que bien souvent, ce qu’on doit faire, on doit le faire, et si on ne le fait pas, d’autres actions risquent de s’ajouter à la liste.
Si on pousse trop loin le lâcher-prise, on en viendrait presque à ne plus trop assumer ses responsabilités, dans le style « Nan mais bon, là, métro, boulot, dodo, ça va bien, je plaque tout et je me casse 3 semaines à Hawaii, démerde-toi avec les jumeaux, et t’oublieras pas d’aller chez ma mère à ma place à Noël, elle tient tellement à votre présence »…
Lâcher prise dans un contexte de détente – relaxation enfin, cela revient à s’éloigner un court instant de toutes ces pensées, émotions négatives et soucis qui nous empoisonnent le cerveau et tendent nos muscles. Sauf que… ça n’a qu’un temps, le mieux-être est de courte durée, car on le sait, il faudrait méditer régulièrement, quotidiennement, être à l’écoute de son corps et en recul toute la journée pour que ça marche.
Et on finit par culpabiliser de ne pas y arriver, par s’en vouloir…
Oui, si on veut vraiment lâcher prise, donc, il faut être constant, discipliné, et je crois surtout qu’il ne faut rien lâcher !
« Ne lâche rien ! » Une phrase qui motive ?
Je vois bien que le lâcher-prise est une notion qui ne correspond pas bien à ce qui se passe dans mon cerveau, ma façon de fonctionner.
Voyons maintenant si « Ne rien lâcher » me parle plus. Dim doum doum. Je réfléchis là. Non… Pas mieux.
A chaque contexte on peut toutefois trouver un sens précis à l’expression :
> L’épreuve sportive : Ne lâche rien, surtout pas les 50 kg de fonte que tu tiens à bout de bras, ou les cent « jumping Jack » du challenge que tu as entamé (oui, moi aussi j’ai fait du sport chez moi pendant le confinement) ou les 42 km de Ma… ra… th oooaaaah…
> La négociation de la mort qui tue : Il faut rien lâcher les gars, ils bluffent, moi je vous parie mon Audi électrique que leur dossier est bidon, on reste sur ce qu’on a dit. (oui, je ne sais pas trop de quelle négociation on parle ici, mais un peu d’imagination, allons !)
> Les examens à préparer, le Mémoire à rendre : Allez c’est pas le moment de lâcher après 7 ans d’études théoriques, 4 années d’internat/ stage pro , et un million deux cent cinquante trois mille petites humiliations diverses de tes supérieurs hiérarchiques ! Tu vas nous l’avoir ton diplôme, puis ton poste à responsabilités, ne lâche rien, comme ça tu pourras toi aussi humilier les autres, déléguer plein de tâches et ne rien faire (et lâcher prise ?) Euh je m’égare.
Bon on comprend l’idée : quand on est tenté d’abandonner, une petite voix intérieure ou une grosse voix venue de l’extérieur peut nous inciter à « ne rien lâcher » .
Alors, que faire avec le combo Lâcher prise + Ne rien lâcher ?
Changer d’expression paraît une bonne idée.
Pourquoi ? Parce que ce qui est flou est inatteignable. Ainsi pour que ces phrases aient du sens, on doit nécessairement passer par la contextualisation, la nuance, le détail.
Lâcher prise, oui, dans un contexte très précis, comme : céder lors d’une discussion qui s’envenime, accorder un dernier épisode de Trotro à son enfant avant le bain, accepter qu’on ne sera pas le nouveau John Irving ou Van Gogh, …
Ne rien lâcher ? D’accord, comme : ne rien lâcher lorsque une discussion s’envenime et que l’on est sûr d’avoir raison, savoir dire non à son enfant qui réclame un Trotro de plus alors qu’on avait dit deux (un de plus, ça fait Trotro), poursuivre ses rêves et persévérer dans ses efforts pour devenir un grand écrivain ou un grand peintre malgré les obstacles…
Nous voilà bien éclairés.
Chers lecteurs et lectrices, j’espère que cet article aura fait un petit peu avancer la Marche du Monde, même si je n’en suis pas si sûre. En tout cas, croyez moi : j’ai tout donné 🙂